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Trois hivers à Fort McMoney:post

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Les sables bitumineux sont le deuxième gisement mondial après celui de l’Arabie Saoudite, plus important que ceux de l’Irak, de l’Iran ou de la Russie […] En deux mots, c’est une entreprise de proportions épiques, égale à la construction des pyramides ou de la Grande Muraille de Chine, mais en plus grand.

Stephen Harper, Premier ministre du Canada, juillet 2006

Nous étions arrivés au bout du bout du monde par la seule route possible, la 63, l’“autoroute de la mort” comme on l’appelle ici, tant elle est fréquentée, étroite, et glissante ; belle aussi, perdue et perdante, et qui s’enfonce à plus de 400 kilomètres de la dernière ville digne de ce nom : Edmonton, Alberta.

Fordlândia:post

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Luna Park né du désir le plus fou d’un magnat de l’automobile mégalomane, Fordlândia doit concilier pragmatisme et idéalisme. Un si séduisant programme ne pouvait sans doute prendre place ailleurs qu’au beau milieu de nulle part. D’un coup de baguette magique, Ford transpose une Amérique de carte postale au cœur de l’enfer vert. La vie est belle de Capra cohabite avec l’anaconda, le jaguar et la malaria.

Pour un real de plus:post

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La forêt vierge est rasée – au bulldozer, de surcroît –, ce qui appauvrit les sols. Le gmelina arborea, espèce asiatique à croissance rapide et au rendement élevé de cellulose, ne s’adapte pas bien au sol amazonien. L’arbre ne tarde pas à être remplacé par l’eucalyptus et le pin, qui retirent tout avantage compétitif à Jari. La culture du riz – “aux engrais chimiques, au lieu de mettre à profit la richesse des plaines alluviales de l’Amazone”, critique encore le journaliste – est un échec total. Aux portes du complexe, la catastrophe sociale menace : les migrants démunis, attirés par la promesse d’un Eldorado, ne cessent d’affluer et s’entassent, dans des conditions déplorables, dans la favela dite du Beiradão.

Séisme à Tokyo:post

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Rétrospectivement, la plus grande ironie de l’événement est que la dernière chose à laquelle tout le monde a pensé le 1er septembre est l’argent. Tout au long de ce premier jour, des hommes politiques occidentaux exprimèrent leur sympathie. Tout le monde s’accordait à dire que les tremblements de terre sont une mauvaise chose. Néanmoins, tout le monde ne s’accordait pas sur la ligne de conduite à tenir dans le cas où ils se produisent dans un pays riche comme le Japon. Gorbatchev présenta ses condoléances, l’idée de l’Union soviétique fournissant une aide économique au Japon étant tout simplement trop absurde. Les États-Unis envoyèrent par bateau des provisions d’urgence de riz, le premier riz américain jamais autorisé sur le sol japonais. Comme les ports et les routes n’existaient plus, le riz fut transporté en hélicoptère depuis les bateaux.

Le Krach de la Kabul Bank:post

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En Occident, l’analyse la plus courante est que si Karzaï tolère la corruption de son entourage, il n’est lui-même pas corrompu. On dit qu’il la tolère parce qu’il croit ne pas avoir d’autre choix : alors que la plupart des Afghans exècrent leurs dirigeants qui usurpent de l’argent, ce sont ces mêmes dirigeants qui votent pour maintenir Karzaï au pouvoir. “Ces gars-là sont les vrais électeurs de Karzaï”, me dit ma source à l’Otan.

Hackerville:post

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À trois heures de Bucarest, en Roumanie, la route nationale 7 entame tranquillement son ascension dans les contreforts des Alpes transsibériennes. Les prairies laissent place à des cahutes bringuebalantes tandis que dans les cours les poules se promènent et les vêtements sèchent suspendus à des cordes à linge. Pourtant, la présence du concessionnaire Mercedes signale très clairement que vous êtes arrivés à Râmnicu Vâlcea.

L’Obsolescence programmée des objets:post

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La vision classique de l’économie reposait sur la croyance en une Nature avare de ses biens et sur l’idée que la race humaine était confrontée en permanence au spectre de la pénurie. L’économiste Malthus tirait la sonnette d’alarme dans un texte de 1798 : la hausse de la population qui, prédisait-il, serait largement supérieure aux gains de la production de denrées comestibles, appauvrirait notre race.

Cependant, la technologie moderne et l’approche scientifique du commerce, cette véritable aventure de l’esprit, ont augmenté la productivité des usines et des champs dans des proportions telles que le problème économique fondamental est devenu celui de l’organisation des achats plutôt que la stimulation de la production.

La Dépression actuelle a foncièrement quelque chose d’une ironie amère : des millions de personnes sont privées de conditions de vie satisfaisantes alors que les surplus encombrent les greniers et les entrepôts du monde entier ; et les prix sont tellement en dessous de leur niveau habituel qu’il ne serait plus attractif, ni rentable, de se remettre à produire.

La Guerre en appartement:post

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“Pas mal, ton petit article, mais pourquoi tu ne cites que les prête-noms, et pas les vrais décideurs ?” Vexé, je cherchais à changer de sujet, mais mon interlocuteur insistait, narquois : “Le sujet est bon, mais franchement, on reste sur sa faim… C’est d’autant plus dommage qu’on voit que tu as bossé !” J’avais publié le matin même dans Intelligence Online, ma lettre d’information sur les zones grises de la géopolitique, un article intitulé “Red Star fait voler l’O.T.A.N. à Kaboul”. J’y expliquais comment, depuis 2002, les bases aériennes de Manas, au Kirghizistan, et de Bagram, en Afghanistan, plates-formes des opérations militaires occidentales dans la région, étaient alimentées en kérosène par deux sociétés totalement inconnues : Red Star et Mina Corp. En huit ans, le Pentagone leur avait versé deux milliards de dollars. Mais, en consultant le registre du commerce de Gibraltar, j’avais découvert qu’elles ne disposaient que d’un capital de deux mille livres, somme dérisoire au regard des montants qu’elles brassaient. Pire encore : alors que toutes les opérations de l’O.T.A.N. dépendaient d’elles – en 2010, pas moins de trois mille cinq cents soldats transitaient chaque jour par la base de Manas –, leur actionnariat demeurait totalement opaque. À la moindre pénurie de carburant – le site consommait 1,8 million de litres par jour ! –, ce ballet aérien s’arrêterait net.

La Vie d’un goldfarmer chinois:post

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Il était 23 heures. Le service de nuit avait commencé depuis trois heures. Il restait encore neuf heures à tirer. À son poste de travail, dans un petit bureau éclairé au néon à Nanjing, en Chine, Li Qiwen s’assit torse nu, fumant cigarette sur cigarette et fixant avec concentration le jeu interactif face à lui. L’écran donnait à voir des moines guerriers évoluant sur un terrain montagneux légèrement boisé, clairsemé de ruines de châteaux, et sur lequel des cerfs broutaient. Cliquant avec sa souris sur chaque dépouille l’une après l’autre, ramassant à chaque fois une douzaine de pièces virtuelles – et éventuellement une ou deux armes magiques – qu’il fourrait dans un sac de plus en plus chargé, Li, ou plutôt son personnage de maître-magicien combattant, avait décimé les moines ennemis depuis 20 heures.

Douze heures par nuit, sept nuits par semaine, avec seulement deux ou trois libres par mois, voilà ce que fait Li dans la vie. En cette nuit de l’été 2006, le jeu programmé sur son écran est, comme toujours, World of Warcraft, un jeu de fantasy en ligne dans lequel les joueurs, sous la forme d’avatars – elfes magiciens, guerriers orks et autres personnages tolkiennesques – guerroient dans le royaume mythique d’Azeroth, gagnant des points à chaque monstre tué, et grimpant, au cours de longs mois, du niveau de pouvoir mortel du jeu le plus bas (1) au plus élevé (70).

Ikea Parano:post

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Les magasins Ikea, à l’instar des chihuahuas et de la coriandre, provoquent des réactions excessives. Certains, comme les membres du groupe Facebook officiel “Ikea, c’est l’ enfer sur Terre”, ne peuvent pas les supporter. D’autres les prennent pour des maisons de poupées à taille humaine et flânent uniquement pour le plaisir au milieu d’un mobilier ravissant. Depuis quelques mois, des quarantenaires célibataires ont fait de l’Ikea de Shanghai un lieu de rencontres ; ils sont tellement nombreux que la direction a dû délimiter un “espace réservé aux rencontres”. “Avant qu’on leur attribue une zone à part, ils monopolisaient les fauteuils de l’espace restaurant et les autres clients n’avaient pas de place”, a déclaré Shen Jinhua, un employé d’Ikea, au Shanghai Daily.
Chaque magasin Ikea est soigneusement conçu pour stimuler certains comportements. “On pourrait décrire les choses ainsi : tout se passe comme si Ikea vous prenait par la main et vous guidait délibérément à travers le magasin afin de vous inciter à acheter le plus possible”, explique Johan Stenebo, qui a travaillé pour Ikea pendant vingt-cinq ans, dans son ouvrage Sanningen om Ikea (La Vérité sur Ikea) paru en 2009.

Dream a lithium dream:post

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Il y a, dans le sud de la Bolivie, une montagne baptisée Cerro Ricco – “montagne opulente”. C’est un rocher pâle et chauve, traversé d’étroites routes de terre qui s’entrecroisent comme des lacets. Plus de quatre mille tunnels miniers en ont si minutieusement grignoté l’intérieur que la montagne court le risque de s’effondrer. Les taudis agglomérés autour de sa base se répandent jusque dans la ville ancienne de Potosí, classée au patrimoine mondial de l’humanité. Evo Morales, président de la Bolivie, m’a dit récemment que ses compatriotes et lui-même considèrent Potosí comme un symbole de “pillage, d’exploitation, et d’humiliation”. Cette ville représente une Bolivie qui aurait pu exister : un pays qui aurait capitalisé sur son extraordinaire richesse en minerais pour devenir une grande puissance industrielle. Cette Bolivie-là aurait facilement pu s’imaginer en 1611, quand Potosí était l’une des plus grandes villes du monde, avec cent quatre-vingt mille habitants – à peu près comme Londres à la même époque. Bien que Potosí ait connu des débuts de ville minière, avec les bars et les salles de jeux qui accompagnent les hommes aux frontières, elle ne tarda pas à s’enrichir d’églises et de théâtres somptueux et d’une bonne douzaine d’académies de danse. Du milieu du XVIe siècle au milieu du XVIIe, l’argent produit dans le Nouveau Monde provenait pour moitié de Cerro Rico. L’historien Carlos Mesa, qui fut président de la Bolivie de 2003 à 2005, m’a dit : “Pendant toute la durée de l’Empire espagnol, on disait : ‘C’est un vrai Potosí’ pour évoquer la chance ou la richesse.” Aujourd’hui, Potosí est un des endroits les plus pauvres d’un pays qui a longtemps été un des plus pauvres d’Amérique latine.

Une saison de polo:post

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Les bonnes juments n’oublient jamais. Une fois qu’elles ont tout appris : à galoper sur le bon pied, à s’arrêter à temps, à être pleines d’allant mais néanmoins obéissantes, à se laisser monter avec élégance… Les années ont beau passer, elles savent se comporter comme il se doit. C’est pourquoi, dans l’univers du polo, les bonnes juments sont sacrées. Absolument sacrées.

On les bichonne, on les coiffe comme des courtisanes mais on ne les laisse pas s’accoupler, surtout pas au petit bonheur. Chaque mois, avec une ponctualité toute biologique, un groupe d’experts leur ponctionne un ovule qui est ensuite fécondé in vitro avec les spermatozoïdes d’un étalon. L’ embryon, lui non plus, ne leur revient pas. Il est implanté dans un ventre de substitution chargé de mener à bien la gestation. À ce stade, la valeur de l’embryon atteint déjà cinquante mille dollars.

Mystery Box:post

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Depuis les attaques terroristes du 11 septembre, experts en sécurité et hommes politiques accusent les conteneurs de représenter un risque majeur. Leur principale inquiétude est qu’ils puissent servir à acheminer une arme nucléaire, en pièces détachées ou d’un seul tenant. Mais la confection d’une bombe nucléaire est extrêmement complexe et les composants indispensables ne courent pas vraiment les rues. Dans les milieux autorisés, la bombe nucléaire est considérée comme une menace “à fortes conséquences et faible probabilité”.

Le Grand Tour:post

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Nous n’aurons pas l’occasion de voir le Luxembourg à la lumière du jour. Nous quittons le Best Western à l’aube, pour nous retrouver rapidement sur l’Autobahn. Li nous demande de nous assurer de n’avoir rien oublié : certains de ses précédents voyageurs avaient l’habitude de cacher de l’argent dans la chasse d’eau des toilettes ou dans les conduits d’aération. “Le pire cas que j’aie eu à gérer, affirme-t-il, c’était un client qui avait cousu de l’argent dans l’ourlet des rideaux.” Nous prenons la direction de notre première étape, la modeste ville de Trier, en Allemagne. Si ce nom n’évoque pas grand-chose à la plupart des visiteurs se rendant pour la première fois en Europe, Trier est devenue étrangement populaire chez les touristes chinois depuis quelques dizaines d’années, lorsque des délégations du Parti communiste ont commencé à y affluer pour voir le lieu de naissance de Karl Marx. Mon guide touristique chinois, écrit par un diplomate à la retraite, indique que l’endroit a été surnommé “La Mecque des Chinois”.

13 x Chungking:post

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Un building dresse sa silhouette incongrue au bas de l’artère la plus commerçante de Hong Kong. Quatre caractères dorés se détachent sur sa façade. 重慶大廈, Chungking Mansions. Au-dessus d’eux, les écrans géants crachent réclames, bandes-annonces, buts homériques. À côté, les néons déclament les vers de la poésie consumériste, tax free, Canon/Motorola/Sony. Au-dessous, la marée humaine affiche un fort coefficient. Rabatteurs pakistanais, touristes britanniques, cuistots sri lankais, proxénètes nigérians, mafieux russes ou négociants sénégalais : le monde se croise, devant cette fourmilière. Bienvenue à Chungking.