Admir

Admir n’est plus tout à fait le même homme. Il fait aujourd’hui partie des milliers d’estropiés que la guerre a fait mine d’épargner durant les conflits en ex-Yougoslavie. Nombreux sont ceux qui y laissèrent leur vie. La mort, Admir l’a vue de près, et à maintes reprises ; quand elle l’a toujours ignoré. Eut-il été préférable qu’elle ne le graciât point ? Sa mère n’a de cesse de le lui rappeler. Admir, quant à lui, n’a qu’une certitude : ce qui a nourri cette foutue guerre n’a pas disparu.

Extrait

“Je suis né trois fois”, dit-il soudain, et la fumée se met à danser sous l’inflexion de son souffle. Sa mère, rompant un silence de plusieurs jours, dit : “Si seulement tu étais mort à la guerre.” Puis elle pense à sa pension de veuve et que la Bosnie-Herzégovine la paierait bien davantage s’il était un Šehid, mort à la guerre pour son pays de lys. Mais au lieu de mourir, il est né trois fois. La femme en face de lui, à la bouche tendue par la curiosité, va apprendre comment tout est arrivé.

Admir a été traduit de l’allemand par Agathe Bernier-Monod. Le texte a paru pour la première fois dans Reportagen en juin 2012.
© Sabine Riedel, 2012