Aura du sol

Sur les étagères de la mémoire, les cyclistes en métal sont lancés dans une course sans vainqueur, où Thévenet, Ocana, Merckx, quelque peu égratignés par la patine du temps, pédalent en rêve dans la tête d’un enfant. Éric Fottorino nous raconte ses madeleines métalliques, ombres portées d’une terre vue du sol, “aura du sol”.

Extrait

Ma bibliothèque est remplie de petits coureurs en métal qui prennent d’assaut le dénivelé des étagères. Ils forment un cortège immobile qui donne pourtant au regard une sensation de vitesse. Leur coup de pédale aérien passe devant mes Romain Gary (La Promesse de l’aube), mes Marguerite Duras (Des journées entières dans les arbres), mes Modiano (Rue des Boutiques Obscures). Quand le soleil transperce la verrière du bureau, il dore chaque coureur, le maillot jaune et tous les autres. Dans mon cirque démocratique, même les obscurs prennent la lumière. Moi pour qui le stylo n’est jamais loin du vélo, moi qui confondrais l’encre et le cambouis tachant le bout de mes doigts, je contemple le spectacle muet de mes champions miniatures comme s’ils étaient de vrais géants, des géants de poche. Ils m’accompagnent depuis l’enfance, et ensemble nous nous relayons pour apprendre à ne pas grandir.