Comment l’équipe nationale de cyclisme du Rwanda est-elle devenue le symbole d’expiation collective d’un pays, toujours en proie à la division après des années de guerre civile ? Philip Gourevitch, auteur d’une enquête édifiante sur le génocide rwandais de 1994, relate ici l’histoire de ces héros ordinaires qui, fort d’une détermination à toute épreuve, invite le pays à l’écriture d’un futur commun. Toutefois, malgré la capacité d’un peuple à pardonner à ses bourreaux, la mémoire perdure et la douleur reste vive.

Extrait

Nombreux sont les coureurs qui parlent de Jock comme du père de l’équipe, tandis que lui les désigne comme ses enfants. Le Rwanda est évidemment mieux connu pour son passé fratricide, mais Jock ne cherche jamais à connaître l’histoire des cyclistes en dehors de ce qu’ils veulent bien lui dire. “Je ne m’intéresse qu’à leur potentiel, c’est tout”, m’affirme-t-il. Il y a dix-sept ans, pendant le génocide, les coureurs étaient tout juste des enfants. Ils n’ont eu aucune prise sur les crimes qui ont défini leur pays. Et cependant tous, Hutus et Tutsis, en ont gardé des séquelles et connaissent l’histoire de chacun. Ils savent qu’ils se sont trouvés divisés par leur identité dans le passé, et que ces divisions figurent toujours au tableau de la vie rwandaise. Mais ils veulent être connus pour autre chose.

Ce texte a paru pour la première fois dans le New Yorker, en 2011. © 2011 Philip Gourevitch