Feuilleton Nº

4

Les morts de ma cour

traducteur
Agnieszka Zuk
Les morts de ma cour

Il ne restait nulle trace du massacre de Rechta, si ce n’est celle imprimée dans la mémoire de quelques habitants de cette petite commune polonaise, tous appliqués à taire cet encombrant souvenir. Or, il y a quelques années, le journaliste Paweł Piotr Reszka et l’historien Dariusz Libionka ont publié un texte relatant l’histoire de ce pogrom perpétré une nuit de l’année 1943. Aujourd’hui, des gens se déplacent à Rechta pour rendre hommage aux défunts. La construction d’une stèle commémorative est même envisagée. Mais le projet ravive d’obscures passions…

Extrait

Cette nuit-là, quand ils ont massacré les Juifs, c’était impossible de sortir, sinon on risquait une balle dans la tête, direct. Pépé a dit : “Ils s’en sont pris aux Kułaga. Ils doivent être en train de leur bousiller leurs ruches”, ça faisait un tel boucan. Mais on pouvait pas mettre le nez dehors. C’est seulement le lendemain matin qu’on a su ce qui c’était passé. La foule avait déjà commencé à s’agglutiner, parce que les gens passaient par là pour aller à l’église à Kiełczewice. Quelqu’un a demandé à ma mère qui était devant la maison : “Et vous, vous voulez pas voir les harengs ?” Parce qu’ils étaient alignés comme des harengs dans une boîte. Maman et pépé étaient effondrés. Je suis allée voir. Il y avait des morts par terre. On les avait déshabillés. Pas complètement, non, ils étaient en slip ou en caleçon long. Je ne suis pas restée longtemps, on m’a vite fait rentrer. Après, j’ai entendu dire que des gens étaient venus avec des petites pinces et qu’ils leur avaient retiré leurs dents en or. Il y en avait qui riaient de ces pinces.

Pomordowani z mojego podworka”, traduit du polonais par Agnieszka Zuk, a paru pour la première fois dans Duzy Format, en avril 2011. © Paweł Piotr Reszka, 2011