Prolétaires et Forçats

Mon tour de France

Prolétaires et forçats

L’écrivain George Orwell, volontiers polémiste, n’hésitait pas à comparer le sport à “la guerre, les fusils en moins”. Dans un journal quotidien qui rend compte, étape après étape, de la bataille du Tour de France cycliste 2012, Eric Chauvier ne dément pas cette allégation. Séduit par le spectacle qui s’offre à lui, l’anthropologue ne s’en laisse pas distraire pour autant. Par un léger pas de côté, il modifie notre focale d’observation : en marge du scénario convenu du divertissement sportif, une autre histoire semble s’écrire…

“Le genou de Lloyd.” Prologue : Liège. Alors que la plus grande course cycliste du monde capitaliste s’élance de Liège, une non-polémique ne prendra pas corps. Sans doute pourrait-on, en hommage au film d’Eric Rohmer, nommer cette non-affaire “Le genou de Lloyd”. Je veux parler de Lloyd Mondory, sprinter de l’équipe A.G.2R.-La Mondiale. Aujourd’hui, alors que sa famille avait loué un camping-car pour suivre le fils prodige durant le Tour, Lloyd a dû se résoudre à abandonner en raison d’une douleur au genou – problème récurrent chez lui – due à un problème de cales mal réglées durant le Tour de Suisse. Il espérait la voir s’estomper au championnat de France mais la pluie n’a rien arrangé ce jour-là. Il n’a rien osé dire de sa souffrance à ses coéquipiers, pas plus qu’ à son directeur sportif. Mais sa douleur n’a pas cessé d’empirer jusqu’à ce que, comble d’ironie, on lui annonce sa sélection pour le Tour de France. Sa joie fut aussitôt contrariée par ce que lui-même savait sans oser en parler à son entourage. Vendre la mèche, c’était renoncer à son rêve.

Prolétaires et forçats” est un texte inédit. © Feuilleton, 2012