L’évangile selon Jerry Lee

traducteur
Danielle Orhan
illustrateur
Aleksi Cavaillez
L’évangile selon Jerry Lee

Lorsqu’il ne martèle pas son piano en invoquant le diable, Jerry Lee Lewis se réfugie dans la foi, avec le secret espoir de conjurer sa crainte du Très-Haut. Convaincu que sa musique, arrosée de whisky et d’amphétamines, est le plus court chemin pour l’Enfer, Jerry Lee sait aussi qu’il lui doit tout : “Je suis un fils de pute qui joue du piano, qui fait du bruit et qui tape du pied. Un salaud de fils de pute. Un mec bien”, chante-t-il dans un de ses titres célèbres. Nick Tosches s’est entretenu avec l’enfant prodigue. Exorcisme.

Dans ses atours de joueur de seconde zone depuis le temps où le chrome est chrome, Jerry Lee Lewis est assis dans la loge du Palomino Club, tenant mollement le quart d’une bouteille de Seagram à moitié vide sur ses genoux, tel le sceptre terni d’une ancienne royauté déchue.

Il a l’air de mauvaise humeur. Mais pas autant que la nuit passée, quand il a réglé son compte à cet idiot dans le public d’un mot rapide et cinglant, quand il a viré de sa loge ce briscard arrogant d’une maison de disques, quand, au petit matin, il mettait toute personne présente au défi de lever la main sur lui. J’ai tenté d’engager la conversation cette nuit-là, mais il était de trop mauvaise humeur. “Quel temps fera-t-il demain en Chine ?” m’a-t-il demandé. Je lui ai répondu que je n’en savais rien, que ça m’était égal ; et il a émis un grognement de dégoût. “Où veux-tu être enterré ?” m’a-t-il demandé. “Dans l’océan”, ai-je rétorqué. C’était mieux. Il a approuvé d’un signe de tête indulgent. Ça s’est passé comme ça la nuit dernière. À la fin, il ne parlait de rien d’autre que de la Bible. À la toute fin, il ne parlait plus du tout.

The Gospel according to Jerry Lee a été traduit de l’anglais (États-Unis) par Danielle Orhan. Le texte a paru pour la première fois dans Country Music en octobre 1979. © Nick Tosches, 1979