6 juin 1958 Caracas sans eau

traducteur
Annie Morvan
illustrateur
Pierre Roy-Camille
6 juin 1958 Caracas sans eau

Samuel Burkart, un ingénieur allemand, parcourt Caracas à la recherche d’une bouteille d’eau pour se raser. D’ordinaire luxuriante, la ville connaît une pénurie inédite. Afin de remédier à ce fléau, les autorités multiplient les mesures drastiques. Gabriel García Márquez n’hésita pas, à l’époque, à recourir à la fiction pour magnifier la portée critique de son reportage. Considéré comme un modèle du journalisme narratif, le présent texte, où s’interfèrent discours journalistiques et littéraires, alimente encore les débats éthiques de la profession.

Après avoir écouté à la radio les informations de 7 heures, Samuel Burkart, un ingénieur allemand qui vivait seul dans un penthouse de l’avenue Caracas, dans le quartier de San Bernardino, descendit à l’épicerie du coin acheter une bouteille d’eau minérale pour pouvoir se raser. C’était le 6 juin 1958. Contrairement à ce qui se passait depuis son arrivée dix ans plus tôt, ce lundi matin semblait mortellement tranquille. Aucun bruit de voiture, aucune pétarade de mobylette ne parvenaient de l’avenue Urdaneta toute proche. Caracas avait l’air d’ une ville fantôme. La chaleur accablante des derniers jours s’était atténuée mais dans le ciel d’un bleu intense, pas un seul nuage ne bougeait. Dans les jardins des villas, sur le parterre de la place de l’étoile, les arbustes étaient morts. Le long des avenues, les arbres habituellement couverts de fleurs rouges et jaunes à cette époque de l’année dressaient leurs branches nues vers le ciel.

Caracas sin agua”, traduit de l’espagnol (Colombie) par Annie Morvan, a paru pour la première fois dans Obra periodistica 3, 1955-1960. De Europa a América en 1983. © Gabriel García Márquez, 1983